Tout témoignage d’une victime présente un intérêt pour la société, surtout dans le contexte actuel où la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise) se penche sur l’héritage douloureux des abus sur majeurs et sur mineurs. Son aura dépasse le cadre de l’Eglise catholique, milieu dans lesquels les faits abusifs relatés ci-après, se sont produits. Il est important de comprendre  comment les mécanismes de l’enfermement se mettent en place et comment une victime trouve la force, bien des années après, de sortir du silence. L’association Sentinelle donne la parole aux victimes d’abus sur majeurs. La vérité émerge peu à peu…   

Le témoignage à suivre de Michèle-France Pesneau, (citée dernièrement dans le très bon article cité en référence de Mme Cécile Chambraud, journaliste au Monde), nous offre un contenu poignant. Il a été recueilli dans le cadre de la 6ème édition des Journées Sentinelle, le 13 mars 2020. 

D’emprise mentale en esclavagisme sexuel, rien n’aura été épargné comme épreuve à Michèle-France, dans un contexte où les abuseurs et ceux qui leur offrent une couverture ont été nombreux : les pères M-D et T. Philippe et leur soeur, mère Winfrida, ainsi que Jean Vanier figurent parmi les plus connus d’entre eux. 

Les opinions au sujet des propos de Michèle-France Pesneau, qui avait déjà eu l’occasion de s’exprimer publiquement, sont assez tranchées.

Pour le théologien catholique, Arnaud Dumouch, Jean Vanier « aurait eu des maîtresses » et il aurait fallu « ne pas rendre ses péchés publics » (https://youtu.be/1NT_3OLyuXs, 23/02/20).   

Pour Mme Isabelle de Gaulmyn, journaliste à La Croix, auditionnée le 12/04/19 par la CIASE et répondant à une question de Christine Lazerges sur les recommandations à formuler à l’égard des personnes vulnérables (privées de liberté au sens canonique du motu proprio de 2018) https://www.ciase.fr/wordpress/wp-content/uploads/2019/06/2019-04-12-CR-Isabelle-de-Gaulmyn-V2.pdf  :  

« Il est important de ne pas les oublier. C’est le problème de l’emprise. La religion attire souvent des gens paumés. Il n’y a pas d’autre explication au fait que des femmes de la communauté de l’Arche aient subi aussi longtemps ce qu’elles ont subi. S’agissant du harcèlement sexuel de prêtres sur des femmes, je n’ai jamais vu un tel problème. » 

Mme Cécile Chambraud, journaliste au Monde, intitule son article du 12/03/20: « Les noirs secrets de Jean Vanier, le fondateur de l’Arche, ajoutant en sous-titre :« il a joué avec son corps et a fait mal à des femmes »                                                   https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/12/il-a-joue-avec-son-corps-et-a-fait-mal-a-des-femmes-les-noirs-secrets-de-jean-vanier-le-fondateur-de-l-arche_6032698_3224.html La journaliste parle de Jean Vanier et du père Thomas Philippe comme « ayant abusé de femmes de leur entourage dans des conditions d’emprise psychologique similaires, soutenues par un échafaudage mystique déviant destiné à justifier la soumission sexuelle » et reprend les propos d’un pensionnaire de l’Arche pour décrire l’abus subi par Michèle-France Pesneau.  

 1/ Qu’en est-il au regard du droit pénal ? Les faits « d’abus sexuels de femmes sous emprise » concernant les deux frères Philippe à l’égard de Michèle-France Pesneau (auxquels s’ajoute ceux relatifs à Jean Vanier concernant d’autres personnes) sont tous antérieurs à la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales dite loi About-Picard.Michèle-France Pesneau a cessé tout contact avec le père Thomas Philippe en 1991, puis avec son frère, six ans plus tard, en 1997. 

Avant 2001, faute d’infraction pour abus de l’état de faiblesse, du fait de pressions graves ou réitérées, il n’était guère possible à Michèle-France de porter plainte, dans un contexte où ses abuseurs avaient institué un véritable système d’abus de droit et de pouvoir, afin de se couvrir mutuellement dans la recherche de leurs proies mises en situation de vulnérabilité. Il ne lui était guère possible non plus d’invoquer le viol. Il était difficile de soutenir qu’il y ait eu violence, contrainte, menace, surprise lors d’une pénétration sexuelle (Art 222-23 du Code pénal). La loi n°2018-703 du 3 août 2018, dite loi Schiappa, a étendu la notion de viol à la pénétration de l’auteur par la victime. Ces dispositions pénales témoignent du changement de l’acceptabilité sociale par rapport au phénomène de viol. Elles ne sont pas rétroactives. 

Néanmoins, la contrainte à l’égard de Michèle-France Pesneau s’est exercée de manière plus insidieuse. Les atteintes aux droits de l’homme, en matière d’esclavagisme sexuel, n’en semblent pas moins constituées. L’esclavagisme sexuel est défini comme l’état d’une femme dépourvue de contrôle sur sa vie et produisant des services sexuels, avec ou sans rémunération, au profit de son logeur ou de sa logeuse ou de ses clients. Dans ces conditions, Il semble que l’esclavagisme sexuel pratiqué par le père M-D Philippe à l’encontre de Michèle-France Pesneau  dénoncé par le pape Francois, dans un avion, au retour d’Abu-Dhabi n’ait pas été symbolique. Il ne faut donc pas s’étonner si cette notion d’esclavagisme sexuel  appliquée au cas de Michèle-France Pesneau ne fait pas l’unanimité.

En effet, mère Winfrida Philippe, en cachant dans un grenier Michèle-France, à l’insu des Evêques, a offert un lieu monacal au-dessus de tout soupçon, pendant trois ans, à son propre frère, le père M-D Philippe, afin que ce dernier puisse disposer sexuellement de Michèle-France, à sa demande, en pensionnaire exploitée et sans aucun droit. C’est aussi chez Mère Winfrida que le rendez-vous de présentation entre Michèle-France, le père M-D et le père Thomas Philippe  eu lieu.  Michèle-France Pesneau est donc, à bon droit, une victime, au regard du droit pénal. 

2/ Qu’en est-il au regard du droit canonique ? 

Selon le Can 1326 § 1, « le juge peut punir d’une peine plus lourde que celle prévue par la loi ou le précepte 1. La personne qui, après condamnation ou déclaration de la peine, persiste dans son délit, à tel point que les circonstances fassent estimer avec prudence qu’elle s’obstine dans sa volonté de mal faire 2. La personne qui qui est constituée en dignité ou qui a abusé de son autorité ou de son office pour accomplir un délit. »  

Autrement dit, nous nous trouvions précisément dans le cas, où le délit de fausse doctrine du père Thomas Philippe, pourtant constitué et sanctionné par Rome dès 1956, n’a pas empêché la personne auteur d’abus à caractère sexuel d’« abuser de son autorité » de prêtre pour persister dans son délit à l’égard des victimes, « en s’obstinant dans sa volonté de mal faire » et ce, sans encourir « de peine plus lourde ». Dans ces circonstances, il semble que l’Institution ecclésiale ait aussi commis un manquement envers les victimes, en s’abstenant de sanctionner plus lourdement l’auteur d’une fausse doctrine leur portant directement préjudice. 

Le 13 mars 2020, Michèle-France Pesneau nous a parlé comme une femme éprouvée, mais équilibrée. Elle ne s’est reconnue, ni dans les qualificatifs d’  « ancienne maîtresse consentante »,  « de femme paumée » ou encore de « femme détruite » (selon les mots prononcés à son sujet sur un plateau de télévision, en décembre 2019). En femme libre, elle a  choisi de témoigner, pour l’association Sentinelle et de nous livrer sa part de vérité.

Son livre intitulé « L’emprise », paraîtra, aux Editions Golias, en avril 2020. Les préjugés les plus tenaces au sujet de l’abus de l’état de faiblesse et de ses conséquences gravement préjudiciables en matière d’abus sexuels ne doivent plus avoir cours. 

Retrouvez ici le témoignage complet de Michèle-France Pesneau, partagez-le et laissez-nous vos commentaires en ligne !  

Crédits photo : photo extraite du documentaire d’Eric Quintin et Marie-Pierre Raimbault sur les religieuses abusées. Photo prise au Musée du Carmel de Saint-Denis, dans la cellule de Louise de France, fille de Louis XV (Sr Thérèse de Saint Augustin.)

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